Guillian Graves
Fondée il y a 2,5 ans par Guillian Graves, l’agence Big Bang Project propose d’anticiper l’impact des produits et services de demain en adoptant une approche liant intimement sciences, recherche innovation et design. Pour ce faire, l’équipe, composée de designers et de biologistes, travaille main dans la main avec de grands groupes et laboratoires de recherche, de la conception à la production, pour faire émerger des solutions innovantes et bio-inspirées, mieux adaptées aux mondes de demain et plus responsables. Cette nouvelle méthodologie dessine un pont entre le fond et la forme en ouvrant un dialogue entre disciplines pourtant a priori éloignées dans les processus de conception et de création. Guillian Graves a répondu à nos questions.
Bonjour Guillian,
Pourquoi était-il important pour vous d’aller aussi loin dans l’intégration de la recherche à l’approche apportée par votre agence ?
Spécialisée dans le biomimétisme et la bio-inspiration depuis presque dix ans aujourd’hui, mon approche est transdisciplinaire. Elle se situe à l’intersection du design et des sciences de la vie. Je cherche à étudier et à m’inspirer de la nature (micro-organismes, plantes, animaux, champignons, écosystèmes) qui a su s’adapter et évoluer depuis 3.8 milliards d’années, pour imaginer des innovations plus respectueuses de l’environnement et qui permettraient de faire face aux grands défis de demain.
Pour développer ces activités, j’ai fondé Big Bang Project, une agence de recherche et d’innovation par le design. Elle intègre d’ailleurs une docteure en biologie et collabore au quotidien avec les départements de recherche – fondamentale ou appliquée – de partenaires scientifiques et industriels, qui changent selon les projets et les thématiques explorées : futur bio-inspiré de l’habitat, de l’énergie, de la santé, de l’alimentation, de la mobilité, du sport, du spatial, etc.
Selon la problématique traitée, nos solutions bio-inspirées peuvent s’incarner en de nouveaux produits, services, expériences, matériaux, outils, méthodes, espaces, formes d’organisations, etc. Nous intervenons donc très en amont dans le processus d’innovation. Les sujets que nous traitons peuvent être proposés par nos partenaires – de grands groupes aux centres de recherche –, comme émaner de l’agence directement.
Les opportunités d’innovation par la bio-inspiration sont conséquentes, mais dépendantes de la production de connaissances nouvelles, du développement de nouveaux outils et de nouvelles méthodes pour explorer la donnée biologique identifiée comme matière première à la conception d’artefacts bio-inspirés. Mon équipe travaille donc à la production de ces connaissances, de méthodes et d’outils sur-mesure pour guider la recherche et la création d’innovations soutenables, par le design et la bio-inspiration.
J’enseigne d’ailleurs cette approche singulière de la recherche et de l’innovation par le design et la bio-inspiration, transdisciplinaire par essence, à l’ENSCI-Les Ateliers,où je suis enseignant-chercheur, membre du Centre de Recherche en Design et responsable du Master of Science Nature-Inspired Design – et à Sciences Po Paris.
Versus, essai collaboratif co-écrit par Guillian Graves et Michka Mélo
Comment participez-vous à la conception d’une industrie du design productive et responsable ? Quelles technologies interviennent dans vos productions ? Sont-elles toutes utilisables dans une perspective écologique ?
Nous abordons les projets par des défis. Ils peuvent être conséquents à des problématiques environnementales, sociétales, culturelles, économiques, techniques, etc. Au moyen d’une méthodologie rigoureuse, de connaissances pointues (littérature scientifique, bases de données, rencontre d’experts et d’outils spécifiques, outils de fouille de la donnée biologique alliés à des outils de conception), nous allons identifier dans le vivant de nouvelles manières de répondre aux défis ainsi identifiés.
Bien que, dans la conception d’innovations durables, nous nous inspirons de modèles biologiques et des grands principes qui confèrent à la nature sa durabilité, il n’est pas pour autant vrai que chaque innovation bio-inspirée imaginée est d’emblée plus soutenable.
Nous différencions ainsi le « biomimétisme » de la « biomimétique » ou « bionique », dont la méthode et les outils se rapprochent, mais dont les objectifs divergent. La « biomimétique » ou la « bionique » sont des approches de la conception par la bio-inspiration dont l’objectif est la génération d’innovations. Le « biomimétisme » est, pour sa part, une approche de l’éco-conception par la bio-inspiration dont l’objectif est aussi la génération d’innovations certes, mais d’innovations durables.
Le biomimétisme emprunte ainsi des connaissances, des méthodes et des outils aux sciences de la vie, aux champs de la conception et de l’éco-conception. À l’instar de toute approche, technologie ou outil, la finalité de ces approches bio-inspirées dépendra des intentions de celui qui s’en servira. La vraie question sous-jacente est celle du monde que nous souhaitons construire à partir de l’observation de cette nature tout autant performante qu’étonnante.
Comment a été accueilli le positionnement de votre agence par les milieux professionnels que vous rassemblez lors de votre création ? Avez-vous noté une évolution des modes de pensées depuis 2 ans ?
Concomitamment à la sensibilisation croissante des citoyens aux problématiques environnementales et climatiques, les réglementations sont de plus en plus contraignantes vis à vis des entreprises qui doivent tout de même continuer à innover. Le biomimétisme est une manière extrêmement positive de réconcilier Innovation et Développement durable. De fait, notre approche est accueillie de manière très favorable ces dernières années. Preuve en est, nos travaux ont été présentés à l’occasion de plus de 80 conférences en Europe et aux États-Unis, et dans 24 expositions à travers le monde – dont une au Centre Pompidou en 2019 pour l’exposition Mutations / Créations III – La Fabrique du Vivant, 11 documentaires et reportages télévisés et radiophoniques, 36 ouvrages et magazines.
Cet intérêt croissant pour le sujet amène ainsi l’agence et le réseau des acteurs du biomimétisme, qui s’étoffe de jour en jour, à se structurer comme à s’accorder sur des méthodes, des outils, des savoir-faire et des valeurs éthiques et déontologiques à véhiculer.
Cela, jusqu’à récemment faire remonter au niveau gouvernemental la nécessité d’élaborer un cadre réglementaire et éthique au biomimétisme, afin de limiter l’émergence d’acteurs susceptibles de dénaturer et détourner les objectifs de cette approche à des fins de « green washing ».
Le dialogue entre les sciences et le design se fait-il désormais plus spontanément ou a-t-il fallu mettre en place une méthode de communication innovante auprès de vos clients ?
Scientifiques, ingénieurs et designers ne partagent pas les mêmes cultures, méthodologies, outils, langages, lieux, temps et objectifs de projet, entre autres aspects. Le bon passage des sciences vers le design et du design vers les sciences est donc corrélé au dépassement des barrières culturelles, structurelles, managériales, temporelles, sémantiques, sémiologiques ou encore philosophiques qui cloisonnent les disciplines impliquées dans ce processus de bio-inspiration.
Ce dialogue est donc soumis au bon développement de nouveaux outils et de nouvelles méthodes internes à Big Bang Project, comme à la capacité de les adapter aux contextes dans lesquels nous les implémentons – grands groupes, PME, start-up, laboratoires et centres de recherche partenaires – et en prenant en compte leurs spécificités historiques et culturelles, variables d’un milieu à un autre.
Quels sont les futurs projets ou envies de développement pour Big Bang Project ?
En addition des projets de recherche et d’innovation que nous portons, nous développons un volet éducatif. Nous cherchons ainsi d’une part à sensibiliser des publics industriels et scientifiques comme le grand public aux problématiques environnementales et climatiques actuelles, et d’autre part à leur transmettre les méthodes et les outils que nous développons pour y répondre grâce à la bio-inspiration.
Nautile, bouilloire à faible empreinte carbone
Dans ce cadre, nous lançons au premier trimestre 2020 une collection d’ouvrages nommée Bio — Graphies, dont l’ambition est de donner aux lecteurs les clés permettant de décrypter les stratégies biologiques pour inspirer des innovations soutenables. Le premier ouvrage de la collection sera dédié à la découverte d’espèces étonnantes de la famille des requins, qui nous inspireront la conception d’innovations bio-inspirées.
En outre, j’ai la chance d’avoir conçu et pris la responsabilité de la première formation diplômante en biomimétisme, sous la forme d’un Master of Science international nommé Nature-Inspired Design. Il ouvrira en janvier 2020 à l’École Nationale Supérieure de Création Industrielle et aura pour mission de former les premières générations de managers (scientifiques, ingénieurs et créatifs) de projet en biomimétisme.
Nous visons également un développement prochain de Big Bang Project aux USA, ainsi que le renforcement des outils internes de fouille de la donnée biologique grâce aux technologies numériques.
Merci Guillian pour vos réponses !