Virginie Gautier
Généraliser l’usage des matériaux biosourcés
Bureau d’études expert des matériaux bio-sourcés, Karibati est une SCOP agréée Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale par l’Etat. Fondée en 2015, la jeune entreprise est bien décidée à faire changer les usages dans le bâtiment. Son objectif est clair : réduire l’impact environnemental du secteur de la construction.
Pour cela, Karibati accompagne toute entreprise qui souhaite se développer ou mieux construire en recourant aux matériaux biosourcés. Une mission d’intérêt général qui s’adresse aux territoires comme aux entreprises et aux maîtres d’ouvrage. Cette philosophie commence dès l’organisation même de l’entreprise, qui affiche un système de gouvernance innovant avec entre autres une direction tournante.
Merci Virginie de répondre aux questions des Grandes Idées !
Matériaux biosourcés
Bonjour Virginie,
Quels sont les défis à relever pour augmenter ou initier l’usage des matériaux biosourcés dans les pratiques des territoires, entreprises et maîtres d’ouvrage ?
Bonjour Les Grandes Idées !
Les matériaux biosourcés pour le bâtiment ont dépassé le stade du « marché de niche », néanmoins les défis à relever pour massifier leur utilisation restent nombreux.
Du côté de l’offre, il s’agit notamment pour les fabricants d’inscrire leurs produits dans le cadre normatif de la construction. Bien que les matériaux biosourcés les plus utilisés aujourd’hui sont considérés comme « techniques courantes » par les assureurs (c’est à dire couverts par un DTU, des règles professionnelles ou avis techniques validés par la Commission Prévention Produit qui regroupe les assureurs notamment), beaucoup doivent encore franchir ces étapes d’évaluation technique pour être massivement intégrés dans les bâtiments. Or, ce sont des démarches longues et coûteuses, donc moins accessibles aux petites et moyennes entreprises qui constituent pourtant une part importante des fabricants de produits biosourcés.
Du côté de la demande, le travail de sensibilisation, d’acculturation et de formation à destination de l’ensemble des acteurs de la filière ne fait que commencer. Bien que les méthodes de construction quasiment uniformément utilisées aujourd’hui le sont somme toute depuis peu de temps (les constructions en béton ne se sont largement développées en France qu’à partir du 20ème siècle, et la laine de verre a été inventée en 1938), il y a une véritable dépendance des professionnels du secteur à ces matériaux. Pour cause, d’importantes filières industrielles sont en place et se sont, au fur et à mesure des décennies, imposées au secteur du bâtiment. Il s’agit donc d’accompagner les artisans, les maîtres d’œuvre et les maîtres d’ouvrage ainsi que les futurs professionnels, aujourd’hui étudiants et apprentis, pour les aider à se diriger vers d’autres types de matériaux tels que les matériaux biorsourcés, qui répondent davantage aux grands enjeux écologiques et sociaux de notre époque.
Les pouvoirs publics ont par ailleurs un rôle important à jouer pour favoriser le développement des produits biosourcés, que ce soit à travers l’établissement de règles environnementales ambitieuses ou la mise en place d’incitatifs financiers favorisant le recours à des matériaux plus sobres à destination des maîtres d’ouvrage, par exemple.
Selon vous, comment les réglementations et les labellisations peuvent permettre d’acculturer tout un secteur vers une démarche plus responsable et éclairée ?
L’expérimentation E+C- qui préfigure la prochaine réglementation environnementale du bâtiment RE2020 a sans doute permis à beaucoup de professionnels de mieux comprendre l’ensemble des impacts environnementaux liés à la construction d’un bâtiment – mais dans le détail cela reste complexe pour la majorité d’entre nous. Quant aux labels et certifications environnementaux, il en existe beaucoup, certains ne sont pas simples à appréhender, et il est facile de s’y perdre.
Selon moi, il faut donc veiller à proposer des outils simples et accessibles. Le label « Bâtiment Biosourcé » est un bon exemple de ce point de vue. Ces outils doivent aussi être associés à un accompagnement pédagogique à travers, par exemple, la mise à disposition de contenus informatifs en ligne, de formations courtes, et d’accompagnateurs dédiés.
Une démarche responsable globale doit également prendre en compte des indicateurs sociaux tels que la part de la main d’œuvre locale, les conditions de travail des artisans et des ouvriers du bâtiment… Il existe encore peu de cadres de référence sur ces sujets à l’heure actuelle.
Comment s’assurer du lien entre circuit court et matériaux biosourcés ?
De mon point de vue, il est plus pertinent de s’assurer que les matériaux de construction soient le plus locaux possibles, que ce soit par rapport à la provenance des matières qui les constituent, ou à la proximité avec le site de fabrication. Moins un produit est transformé, plus il est facile de connaître sa performance « locale ». Dans le cas des produits biosourcés, il faut donc commencer par privilégier des matériaux avec une très forte teneur en matière biosourcée : le label « Produit Biosourcé », qui rend compte de cet indicateur, permet de faciliter cela.
Les produits sont reconnaissables par le logotype du label (ci-dessus)
Au sein de votre activité vous développez le Karibatilab, quel est son fonctionnement et quels sont ses objectifs ?
Au-delà des missions d’études et de conseil que nous réalisons pour nos clients, nous mettons en place des projets de développement, que nous menons seul ou avec des partenaires. Selon les projets, les sujets varient : stockage carbone, évaluation environnementale, fin de vie des matériaux biosourcés, impact des matériaux biosourcés sur le confort à l’intérieur des bâtiments… L’objectif étant de faire avancer la filière en travaillant sur les thématiques qui nous semblent essentielles pour son développement. Certains projets débouchent sur des études, d’autres sur des produits comme aKacia, le générateur de FDES dédié aux isolants et bétons biosourcés, et pour lequel la sortie est prévue fin 2020.
La Teahouse signée par l’agence A1 Architects avec l'utilisation de matériaux biosourcés pour l'aménagement intérieur. [©Ester Havlová]
Vous êtes une SCOP et une Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale, pouvez-vous nous expliquer ce que signifient ces statuts et comment ils se concrétisent en interne ? En quoi votre gouvernance est innovante et comment fonctionne-elle ?
La grande différence d’une SCOP par rapport à une entreprise classique réside dans le fait que chaque salarié est associé (ou est amené à le devenir dans les deux ans suivant son arrivée dans l’entreprise). Les salariés y détiennent au moins 51 % du capital social et 65 % des droits de vote. Dans notre cas, les salariés détiennent la quasi-totalité du capital social : nous sommes donc tous très impliqués dans la gestion de l’entreprise.
Nous avons décidé de pousser le concept un peu plus loin en mettant en place une gouvernance tournante (les dirigeants changent tous les deux ans), et en appliquant le même salaire pour tous les associés. Au quotidien, chacun est très autonome dans son travail, l’organisation est complètement horizontale, et les décisions importantes sont prises de manière collégiale.
Quelle ville, quels modes de construction imaginez-vous pour demain ?
Une ville où l’on privilégierait la rénovation du bâti existant plutôt que la construction de nouveaux immeubles, et le recours massif à des matériaux de construction locaux : biosourcés, géosourcés et de réemploi. Et puisque tous les rêves sont permis, une ville où les transports publics et les moyens de transport doux auront progressivement remplacé les voitures, une ville zéro déchet (une expérimentation a déjà eu lieu rue de Paradis dans le 10ème arrondissement de Paris), et enfin une ville où la végétation (locale) est partout !
Merci Virginie pour vos réponses !