CÉLINE LAURENS
Accélérer la transition énergétique et écologique de la construction
Grande experte des territoires grâce à un parcours transverse toujours lié à l’empreinte écologique de la ville et au développement du Grand Paris, Céline Laurens a pris, en septembre 2019, la direction générale de Francîlbois.
Interprofession fédérant les acteurs de la filière forêt bois en Île-de-France, Francîlbois milite pour une construction bois disposant de nombreux atouts dont celui d’accélérer la construction décarbonée du bâti.
Aux Grandes Idées, nous sommes ravis d’avoir pu aller à sa rencontre afin de partager avec vous, les grands enjeux de la transition environnementale du bâtiment, les paramètres et chiffres clés de la construction bois et l’équilibre entre consommation et ressources de nos forêts.
Bonjour Céline,
Pouvez-vous nous raconter votre parcours, votre rôle depuis septembre 2019 à la direction de Francîlbois ?
Je suis urbaniste de formation. Ces dix dernières années, j’ai travaillé sur la question du Grand Paris. Je suis passée par la Région Île de France, la Ville de Paris, au sein du Cabinet du Maire, puis en Juin 2015 j’ai intégré la mission Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) au secrétariat général de la Ville de Paris. Là, je me suis intéressée à l’impact sociétal et environnemental des JOP sur le Grand Paris et contribué à la stratégie environnementale de Paris dans sa candidature pour accueillir les JOP en 2024. Très vite la question de la construction bois s’est posée. Notre objectif était de réduire de 55 % notre empreinte carbone par rapport aux JOP de Londres 2012. Après la victoire de Paris pour les jeux de 2024 en 2017, j’ai intégrée la SOLIDEO (la société chargée de la livraison des équipements des JOP 2024) en tant que Directrice de l’Ambition et de l’Héritage. J’ai participé à l’élaboration des grandes stratégies sociétales pour ces Jeux (participation du public, insertion et emploi et accessibilité universelle) et à l’écriture du cahier des charges de excellence environnementale. Là, durant un an et demi, j’ ai pu soulever des problématiques et chercher des réponses du côté de la filière bois.
Cette rencontre avec la filière bois m’a intéressée au point qu’en septembre 2019, j’ai basculé du côté filière et j’ai intégré Francîlbois , sous la présidence de Paul Jarquin (PDG de REI Habitat) pour restructurer la filière et répondre à la commande des maîtres d’ouvrage et donneurs d’ordre d’Île-De-France. Mon chemin m’a permis de connaître les problématiques rencontrées du point de vue d’un aménageur et de pouvoir construire la réponse et l’offre de la filière à apporter aux maîtres d’ouvrage.
Passerelle Claude-Bernard, Paris-Aubervilliers (Île-de-France)
Quels sont les grands défis à relever pour Francîlbois dans les années à venir ?
En 2015 avec la COP21, il y a eu une prise de conscience concernant le sujet du carbone. Depuis, la nouvelle génération pense davantage à travers le prisme de l’empreinte carbone et la mutation des territoires. Il y a une évolution, une mue qui est en train de se faire. Ça Crée une dynamique au niveau de la construction bois, c’est un sujet qui devient vraiment d’actualité et les acteurs sont prêts à s’engager. Et c’est le moment !
Pulse à Aubervilliers
Le défi majeur, c’est d’impulser un vrai changement systémique. On ne construit et on ne conçoit pas en bois comme on construit et conçoit en béton. Il faut donc initier un changement organisationnel dans la culture de conception et de construction. L’ensemble de la chaîne doit changer ses habitudes de travail pour pouvoir se diriger vers l’éco-construction. Et ce le plus tôt possible, via la formation des architectes, des futurs salariés de grandes majors comme Bouygues ou Vinci. Il nous faut faire face au lobby du béton. Et rappeler fortement, au delà de là problématique du carbone, que le sable nécessaire à la fabrication du béton n est pas renouvelable alors que le bois si.
Nos grands défis sont ainsi de :
> Former toute la filière pour ce changement de système,
> Convaincre les maîtres d’ouvrage d’oser intégrer le bois à leur cahier des charges (via la création d’une charte bois-construction notamment, pour les accompagner dans ce nouveau procédé),
> Et aider les industriels de la filière bois ( les professionnels de l’amont forestier, les scieries, les charpentiers) à être prêts pour répondre à cette nouvelle demande.
C’est toute une filière qu’il faut mettre en mouvement pour dynamiser le cycle de commande – production. Pour ça, il faut structurer le message, parler d’une seule voix, et c’est ce qu’on va faire avec le forum bois-construction qui a lieu au Grand Palais, pour la première fois à Paris.
Ceci mène à notre dernier grand défi : parler au grand public. Il y a des mythes à faire tomber. On a souvent peur de la coupe des arbres mais c’est une vision erronée de la gestion forestière. Aujourd’hui, la plus grande partie forêts françaises sont gérées durablement, il y a des schémas réglementaires et des certifications (Pefc et FSC) qui encadrent cette gestion. La coupe et le reboisement, c est à dire le principe de régénération, font partie de la vie de la forêt lorsqu’elle est d’usage productif. Concernant l’utilisation du bois dans la construction, la filière souffre encore du mythe des trois petits cochons ou le bois et la paille sont montrés comme moins solides que la brique. Pourtant, il n’y a aucun problème structurel lié à la construction bois. Prenons le Canada, la Suède par exemple où une majorité de constructions sont en bois. Là-bas il n’y pas plus d’incendie et de soucis de structure qu’ici. D’ailleurs, les plus vieilles maisons parisiennes sont en bois. Le bois est même plus durable et plus résistant que le béton dans le temps.
Quelles sont les grands chiffres clés de la ressource bois et de son utilisation dans le secteur de la construction en Ile-de-France ?
En France, il n’y a pas de problème de ressources, au contraire, la ressource bois est même sous-exploitée. Dans la construction française, seulement 30 % du bois vient de France. Notre chaîne de transformation n’est pas encore assez développée. Mais en y travaillant, on peut arriver facilement à 50 %. En ce qui concerne les grands chiffres de la construction,
En Île-de-France, on est à environ 4 % de construction bois sur le logement. Ce qui est peu par rapport à d autres régions comme le Grand Est où la part du bois dans la construction de logement est plus proche des 10%.
Sylviculture
Si vous deviez résumer en quelques mots la ville dont vous rêveriez pour les années à venir, quelle serait-elle ?
Ma ville rêvée, c’est une ville qui se reconstruit sur elle-même. On parle beaucoup du neuf parce que c’est « sexy ». Mais je pense que pour réduire vraiment le bilan carbone, il faudrait réparer la ville. C’est-à-dire ne pas démolir systématiquement. Il faut se poser d’avantage la question de la réhabilitation de l’existant. 80 % de l’impact se fera sur la ville existante. le sujet est moins abordé car il est plus complexe et crée moins d’imaginaires je crois profondément à la ville subtile avec par exemple des surélévations en bois sur les immeubles de Paris là où la ville peut encore se densifier.
Ma ville rêvée, c’est aussi une ville qui comprend d’où viennent ses ressources à tous les niveaux, la construction, l’alimentation, l’énergie. C’est une métropole qui si tourne vers son environnement extérieur pour travailler sur la complémentarité entre ville centre et ses territoires proches: la ville des ressources et la filière bois est pour cela un exemple très éclairant. Les urbains doivent mieux saisir d’où proviennent les matériaux qui composent leur habitation pour mieux comprendre les différents usages des forêts.
Merci Céline pour vos réponses éclairantes !