Philippe Moracchini
S’engager, pour soi et pour les autres
C’est en mars 2020 que le site web bénévolat.fr a vu le jour, précisément en réponse à la crise sanitaire que l’ensemble du monde connaît actuellement. Le collectif regroupe sept associations dont l’objectif est de mettre en lien des bénévoles et des projets de solidarité.
Le contexte particulier du confinement en temps de crise a participé au développement d’un climat anxiogène et d’une sensation d’impuissance pour beaucoup de personnes qui souhaiteraient apporter leur aide aux personnes qui la nécessiteraient, sans faire partie du corps soignant. Le collectif bénévolat est une solution pour lier ces deux mondes et permet de concrétiser cet élan de solidarité national.
Philippe Moracchini, délégué général de Passerelles et Compétences est le porte-parole du collectif, il répond aux questions des Grandes Idées.
Bonjour Philippe,
Pouvez-vous nous expliquer la genèse du collectif bénévolat ?
Le collectif bénévolat existe depuis plusieurs années déjà. Au départ, il réunissait cinq structures : France Bénévolat, benenova, Tous Bénévoles, pro bono lab et Passerelles et Compétences. Nous avions pour habitude de nous réunir régulièrement pour échanger collectivement sur le bénévolat. Le contexte actuel a accéléré la nécessité d’être plus visible et plus accessible au grand public.
Notre site a été créé le 20 mars, avec des bénévoles, et la stratégie éditoriale a été élaborée avec tous les membres du collectif. Deux associations ont intégré le projet, WebAssoc (à l’initiative de bénévolat.fr) et Latitudes. C’était important de conserver la spécificité de chacun des acteurs qui se regroupent autour de bénévolat.fr tout en proposant une offre globale aux bénévoles et aux associations. C’est pourquoi la page centralise les sept structures en présentant leur cœur d’activité puis redirigent l’internaute vers un site spécifique.
Christian Colas, en mission pour Unis Cité - Animation d’ateliers d’analyse à distance
Comment vous positionnez-vous par rapport à la Réserve Civique, initiative de l’État qui appelle à la mobilisation citoyenne solidaire ?
La création de bénévolat.fr a été concomitante à celle du site jeveuxaider.gouv.fr. Plus précisément, nous avons participé à la création de la plateforme de la Réserve Civique. Avec la volonté du cabinet de Gabriel Attal, Secrétaire d’État auprès du Ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, de fédérer les associations autour d’un projet collectif, une quarantaine d’acteurs du milieu associatif se sont réunis lors d’une visio-conférence afin de penser et coconstruire la plateforme. Ce rassemblement a fait naître une vraie force collective, pour proposer aux bénévoles et aux associations notre savoir-faire, notre réseau et porter une voix plus forte autour de l’engagement et de la solidarité.
Le site bénévolat.fr est la seconde partie de la réponse initiée par le gouvernement avec le mot clé #jeveuxaider sur les réseaux sociaux et la plateforme numérique de la Réserve Civique, jeveuxaider.gouv.fr. La Réserve Civique met en avant 4 actions d’urgence et fait appel à des bénévoles dans le cadre précis d’actions à mener durant le confinement et l’épidémie du Covid-19, en soutien aux associations qui sont en première ligne, directement touchées par la situation.
Lors de la mise en œuvre de bénévolat.fr, nous avons travaillé main dans la main avec le cabinet de Gabriel Attal pour que ce soit cohérent et ne se superpose pas à l’initiative de la Réserve Civique qui a tout son sens aujourd’hui mais qui ne répond qu’à une partie des besoins des associations.
Bénévolat.fr s’adresse à toutes les autres associations existantes, souffrant elles-aussi de la situation, et qui ont plus que jamais besoin de soutien notamment en termes de structure. Nous venons donc, en complémentarité, soutenir le tissu associatif durant la crise.
A titre d’exemple, chez Passerelles et Compétences, nous n’avons pas l’expertise pour intervenir sur des missions d’aide alimentaire ou de soutien aux plus démunis, là où pourraient agir Probono Lab, Benenova ou Tous Bénévoles mais nous n’avons pas non plus la structure nécessaire pour veiller à la question de la sécurité sanitaire et des autorisations de sortie, ce que met en place la Réserve Civique.
Le bénévolat à distance, comment cela se concrétise ?
Au lieu d’être dans un rapport humain physique, nous identifions à distance les besoins des associations qui font appel à nous. Cela peut porter sur des questions juridiques, financières ou de communication, par exemple « comment on organise le chômage partiel » ou « j’aimerais refaire mon site Internet ». Cela requiert des compétences spécifiques qui ne nécessitent pas d’être sur place.
Toutes les missions qui nécessitent d’être réalisées sur place, physiquement sont suspendues et reprendront à la fin du confinement.
Jonathan Veyrat, en mission pour AAPE en conseil en communication opérationnelle: « Cette mission me permet d’occuper mon temps devenu libre et je bénéficie aussi d’une plus grande liberté pour la mener. Finalement, Passerelles et Compétences et moi-même y gagnons tous les deux. J’ai adapté ma mission à distance : je fais des interviews par téléphone et j’envisage une visio avec la responsable de l’AAPE pour faire le point. Je découvre le fonctionnement d’une administration (la loi, la justice). Ce sont des personnes que je n’aurais jamais rencontrées. Cette expérience de bénévolat de compétences est très bénéfique et je suis prêt, lorsque cette mission sera terminée, à postuler pour une nouvelle mission »
Quels sont vos grands objectifs et vos défis en cette période particulière ?
Ce qui sous-tend l’ensemble du secteur associatif à la base est une logique de proximité. Dans un temps de crise comme celui-ci, notre objectif premier est de maintenir ce lien, de soutenir les associations les plus fragiles (de quartier, locales) durant cette période. C’est leur permettre de traverser la période en leur fournissant de l’aide pour qu’elles continuent d’exister et ne meurent pas pour des questions juridiques ou économiques.
C’est une période difficile pour tout le monde, y compris pour nous. Nous avons mis en place des tarifs solidaires pour les associations qui cotisent à nos associations, beaucoup de nos missions sont suspendues. Il y a un risque économique, il faut trouver le bon équilibre pour, à la fois, participer à cette solidarité et pouvoir continuer d’exister.
Linejy Tavars, en mission pour Ecole et Amitiés - Accompagnement stratégie de communication
Pensez-vous que cet épisode aura un impact sur la mentalité des Français et leur rapport au bénévolat ?
Nous n’avons pas encore les chiffres réels et le recul pour nous prononcer mais il y a déjà plusieurs dizaines de milliers de bénévoles inscrits sur la Réserve Civique. Et, pour chacune de nos associations, il y a aujourd’hui beaucoup plus de bénévoles qui s’inscrivent. Oui, il y a un réel élan de solidarité pour accompagner des associations et se rendre utile.
Dans la question de la solidarité et de l’engagement, il y a quelque chose de nouveau qui se joue. Nous développons de nouveaux outils. Nous l’avons fait nous-même, des départs à la retraite en visio, des apéros virtuels… Il y a quelque chose de différent qui s’installe dans la culture de chacun, on revient à des notions essentielles dans le lien humain. On découvre que l’on est capable, même à distance d’activer le lien social et d’être là pour l’autre.
Jonathan Veyrat, en mission pour AAPE - Conseil en communication opérationnel
Comment vous projetez vous à la sortie de cette crise, à la fin du confinement ? Pensez-vous que cette dynamique nouvelle va perdurer ?
J’ai envie de croire que oui.
A partir du moment où une personne a goûté positivement, ne serait-ce que quelques minutes, à la notion d’engagement et qu’il a découvert que ça lui apportait à lui aussi, c’est acquis.
Là où tout va se jouer, c’est au niveau du temps, de la disponibilité que nous avons aujourd’hui et que nous aurons probablement moins à la sortie du confinement. L’enjeu sera de continuer à agir, avec de nouveaux outils à distance comme nous sommes en train de le faire actuellement.
Au-delà de la situation très compliquée dans laquelle nous nous trouvons majoritairement maintenant, ce qui se passe aujourd’hui dans le pays est important. Nous avons vécu ces dernières années des moments compliqués mais qui n’ont pas duré aussi longtemps. Cet esprit de solidarité qui grandit chez les gens. Moi j’y crois fortement. Il y un avant Covid-19 et il y aura un après Covid-19. Et cet après sera différent dans la manière d’appréhender les relations, notre manière de travailler, notre manière d’aller à l’essentiel et de nous engager. Pour moi, quelque chose est fondamentalement en train de changer.
Merci pour cet échange inspirant Philippe !