Tatiana Jama

Réduire les inégalités de financement entre entrepreneurs et entrepreneurEs

En France 88 % des levées de fonds sont dirigées vers des entreprises pilotées uniquement par des hommes, l’accès au financement des projets portés par des femmes est inégalitaire. Afin d’inverser cette tendance, Céline Lazothes, Tatiana Jama et Valentine Lasteyrie ont lancé en décembre 2018 SISTA, un collectif de femmes entrepreneures et investisseures, qui promeut plus de diversité dans l’économie numérique en encourageant notamment l’investissement dans les entreprises fondées ou co-fondées par les femmes. En partenariat avec toutes les parties prenantes de l’écosystème, le collectif coconstruit des bonnes pratiques afin de lutter contre les biais inconscients et faire émerger une génération de leaders plus divers.

Bonjour Tatiana,

 

Comment avez-vous fait ce constat de la grande différence de flux investis vers les entreprises dirigées par des femmes ou par des hommes ?

Au départ, il s’agissait d’une simple intuition que nous avons validée en 2018 par une analyse des levées de fonds sur 10 ans. Le résultat a été que les entreprises de la tech, à savoir les activités relatives au numérique (intelligence artificielle ou IA, technique, santé, environnement, finance) créées exclusivement par des femmes ne captaient que 2 % du venture capital en France.

 

Nous étions bien face à un problème de financement des entreprises fondées par des femmes qui ne représentaient à cette période que 15 % des créateurs d’entreprise dans la tech. De plus, la levée de fonds est un secteur créé par des hommes pour les hommes qui en ont dicté les règles du financement.

 


Comment avez-vous décidé de créer ensemble SISTA et comment le collectif s’est-il développé ?

 

SISTA a été créé en 2018 par un collectif d’une vingtaine de femmes entrepreneuses engagées, à l’initiative de Céline Lazothes et de moi-même qui étions en quelque sorte des pionnières sur le secteur de la tech.

 

Notre première initiative a consisté à porter au conseil national du numérique une charte d’engagement dans laquelle les fonds d’investissements signataires se sont engagés à ce que les entreprises fondées ou co-fondées par des femmes représentent 25 % de leur portefeuille d’ici à 2025.

 

D’emblée, plus de 150 des plus grands fonds ont signé la charte. Cela montrait que tout le monde sentait qu’il y avait un problème mais que personne ne l’adressait. La charte donne également des clés pour favoriser cet investissement.

 

Mais si les fonds d’investissement étaient partants pour soutenir davantage les sociétés fondées par des femmes, ils souhaitaient être aidés d’où l’idée de créer une association qui a été initiée en 2019 avec un bureau opérationnel dirigé par Alexia Reiss et un board rassemblant une dizaine de grands dirigeants.

 

 

Le modèle économique repose sur les cotisations versées par les adhérents (des fonds d’investissement et des grandes entreprises françaises et internationales).

Pouvez-vous nous expliquer les missions de SISTA ?

Notre principale mission vise à fait émerger une génération de leaders diversifiés en réduisant les écarts de financement qui existent entre les femmes et les hommes entrepreneurs et en favorisant l’accès des femmes aux postes de direction. SISTA travaille aussi sur les biais cognitifs de genre, qui sont très forts en France. Par exemple, lorsque l’on parle d’entrepreneuriat et encore plus dans la tech, on pense rarement à une femme.

Le phénomène est identique au sein des fonds d’investissement dans lesquels plus de 85 % des décideurs (ceux qui ont la décision finale d’investir ou pas) sont des hommes. Nous invitons donc les acteurs à repenser leurs façons de financer, de sélectionner un projet qui peut être financé et de manière plus globale de repenser la place des femmes dans les fonds.


Comment le collectif travaille pour réduire l’écart de financement entre femmes fondatrices et hommes fondateurs de start-up ?

Une des premières mesures a consisté à mesurer la part des femmes dans les portefeuilles, car les fonds n’en avaient aucune idée. Or pour adresser un sujet, il faut commencer par le mesurer. C’est la base de toutes les actions de SISTA : chacune d’elles est mesurée et mesurable.
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Aussi, nous sommes les seules à produire depuis 2018 le baromètre du financement des femmes entrepreneurs qui présente deux avantages : faire un état des lieux du financement et de la création d’entreprises par des femmes, et créer un écosystème favorable à l’entreprenariat féminin dans la tech.

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Nos actions consistent aussi à accompagner les femmes à la levée de fonds avec des programmes dédiés aux créatrices de start-up et à la recherche de financement.

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Tous les ans, nous laçons deux appels à candidature pour sélectionner sur les quelque 250 postulants par semestre, 20 projets créés par des femmes qui seront accompagnées pendant six mois via des formations et des mises en contact des fonds partenaires de SISTA qui correspondent à leur secteur d’activité. Les projets sélectionnés doivent déjà être opérationnels.

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Enfin, SISTA accompagnent aussi les fonds d’investissements à avoir plus de parité au sein de leur portefeuille.

 

Comment SISTA contribue-t-il à surmonter ces obstacles ?

La charte prévoit de mesurer et suivre le nombre de dossiers reçus portés par des femmes fondatrices ou co-fondatrices d’entreprises, ainsi que les modalités de réception desdits dossiers.

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Il s’agit ensuite de mesurer et de suivre le nombre de premiers rendez-vous organisés avec ces entrepreneures, puis le nombre de startups financées, ainsi que les montants investis, avec des femmes fondatrices ou co-fondatrices d’entreprises et leur part de capital détenue.

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Enfin, nous communiquons publiquement et annuellement les données anonymisées. Par ailleurs, nous recommandons aux fonds d’investissement d’adopter non seulement des pratiques de recrutement plus inclusives, mais également d’appliquer des processus équitables de sélection des projets en s’appuyant notamment sur une liste indicative de questions non genrées fournies par SISTA. Nous les incitons aussi à faire rayonner les bonnes pratiques dans l’écosystème en faisant appel à plus de femmes expertes, inspirantes, et à soutenir et accompagner les réseaux de femmes dédiés à l’entrepreneuriat et à la tech.

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Une des premières mesures a consisté à mesurer la part des femmes dans les portefeuilles, car les fonds n’en avaient aucune idée. Or pour adresser un sujet, il faut commencer par le mesurer.

Quels sont les enseignements clés que vous avez tirés de votre expérience à la tête de SISTA dans la promotion de l’égalité des genres dans le domaine de l’entreprise ?

Nous pouvons affirmer qu’il y a eu un avant et un après SISTA. Nous sommes les premières à avoir mis des chiffres sur une situation intolérable.
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Parmi les enseignements positifs des dernières années, les femmes représentent désormais un quart des créateurs d’entreprise (24 %), alors qu’elles ne représentaient que 15% en 2018.

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En revanche, le financement reste toujours problématique. Alors que la situation du financement des entreprises fondées ou co-fondées par des femmes s’est améliorée jusqu’en 2022, nous sommes depuis deux ans en période de crise peu favorable au financement des start-up.

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L’investissement dans des entreprises créées par des femmes est encore trop souvent perçu comme risqué par les investisseurs.

 

En créant SISTAFUND, le premier fonds d’investissement pour financer des start-ups fondées par des femmes entrepreneures et des équipes paritaires en 2022, je souhaite inverser cette tendance et faire que ce type d’investissement deviennent la norme.

 

SISTAFUND reçoit 2000 dossiers par an de startups fondées ou co-fondées par des femmes et a déjà réalisé 9 investissements.

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Parmi les enseignements positifs des dernières années, les femmes représentent désormais un quart des créateurs d’entreprise (24 %), alors qu'elles ne représentaient que 15% en 2018. En revanche, le financement reste toujours problématique.

Avez-vous des projets visant à élargir la portée de SISTA à l’échelle internationale pour soutenir les femmes entrepreneures à l’échelle mondiale ?

Nous avons regardé ce qui se passait en Europe sur cette question du financement dans l’espoir de trouver des pays modèles et s’en inspirer. Sauf qu’il n’y a pas de meilleur élève en Europe. Dans les pays nordiques, les femmes représentent 30 % des créateurs d’entreprise de la tech. Pour autant, le taux de financement des sociétés fondées par des femmes est le plus bas de toute l’Europe.

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Aussi notre prochaine ambition est que la charte d’engagement soit portée à un niveau européen. Mais au regard de la situation critique de 2025, notre priorité consiste plutôt à nous réinventer et réengager les fonds d’investissement vers plus de parité.

 

Si je suis une femme, fondatrice de start-up, comment puis-je bénéficier du soutien de SISTA pour mon projet entrepreneurial ?

Il suffit de participer à l’appel à candidature lancé deux fois par an.

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Devenir une entreprise labellisée SISTA permet d’intégrer notre écosystème ce qui présente un vrai avantage. La démarche est soutenue par des fonds d’investissement et des grandes entreprises françaises et internationales adhérents à SISTA. Par exemple, la promotion des 20 femmes accompagnées sur ce premier semestre est financée par BNP Paribas et la précédente l’était par le groupe Axa.