AUDE MASBOUNGI

Pour une ville qui laisse place à l’improvisation.

Architecte de formation, Aude Masboungi choisit de mettre son expertise au service des villes et de leurs espaces vacants. Fondatrice de La Belle Friche, Aude plaide pour laisser place à une programmation évolutive et libre dans nos environnements urbains.

Aujourd’hui Les Grandes Idées lui donnent la parole pour échanger sur les modèles de nos urbanités futures, en abordant notamment la question de l’urbanisme transitoire. Elle nous présente sa vision originale de la programmation urbaine et plus particulièrement les opportunités que représentent les friches pour les territoires qui les accueillent.

Bonjour Aude,

Vous présentez La Belle Friche comme une agence de programmation urbaine « disruptive », qui sort du 100% prévisible, pourriez-vous nous expliquer comment les projets que vous menez sortent de l’ordinaire ?

 

Les projets que nous menons s’appuient sur des études de terrain remettant en questionnement les méthodes de planification classiques. Il s’agit de concevoir une programmation transitoire en partant d’un diagnostic local qui s’appuie sur des enquêtes et sur la concertation avec les habitants et usagers du site comme de ses alentours pour identifier des besoins. Nous testons ensuite ces besoins via l’organisation d’événements ou des permanences sur site, par l’occupation des locaux ou espaces vides.

 

Il serait réducteur de concevoir l’activité de programmation comme un simple cahier des charges si on considère la diversification des modes de vie, la multiplication des vocations et des échelles des sites. La programmation doit plutôt affirmer son rôle de définition à l’aide des parties prenantes et des acteurs concernés susceptibles d’animer les différents espaces d’un territoire.

 

 

Nous accompagnons également les citoyens dans la mutation de leur quartier par des dispositifs pédagogiques, ludiques et créatifs permettant une meilleure assimilation du projet définitif. Cette démarche inspirée du “design thinking”, repose sur la reformulation d’une problématique dont la solution n’est pas connue, pour arriver à la maturation d’une idée créative qui répond parfaitement au besoin identifié.

Nous proposons ainsi un processus itératif, qui permet l’amélioration continue du projet en requestionnant ces éléments progressivement. Cela permet un meilleur contrôle sur l’évolution du site (risque, budget, planning, retour sur investissement).

Notre méthodologie s’oppose à la planification classique (vision de la ville pensée par les ingénieurs) et au projet urbain pensé par les urbanistes en apportant une réponse qui s’appuie davantage sur les modes de vie et les sciences sociales pour déterminer un programme.

 

Malgré l’appellation d’ « urbanisme transitoire », pensez-vous que ces projets soient éphémères ?

 

Justement non car dans le transitoire, il y a la notion d’évolutivité contrairement au temporaire. Les deux types de projets existent.

En physique, un procédé est dit être à l’état transitoire si une variable du système varie avec le temps…De la même façon, la phase transitoire doit servir à orienter le programme de projet urbain.

 

A titre d’exemple, nous travaillons depuis 3 ans sur un écoquartier dans la Seine-et-Marne, département dans lequel nous avons contribué à créer une maison de projet qui s’appelle aujourd’hui La Maison de l’écoquartier. Le local n’ayant pas de vocation future avec l’aboutissement du projet d’aménagement, notre démarche consiste à transformer cet espace en un lieu sur-mesure, à l’image de son quartier, géré par ses usagers.

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Il faut penser des espaces mutables, évolutifs, à l’image des modes de vies qui sont mouvants et ne cessent de changer, de se transformer.

Un autre exemple du même type : à Sceaux dans les Hauts-de-Seine, nous avons occupé une ancienne villa de maître en cœur de ville, en attendant le démarrage des travaux de réaménagement du centre-ville par un lieu artistique et culturel éphémère (ou transitoire). Le bâtiment, destiné à accueillir une école de cuisine internationale, devait être fermé au public mais la phase transitoire a démontré une appropriation unanime de la cour pavée attenante par les habitants. Ainsi, la Ville de Sceaux a demandé aux promoteurs de l’opération de laisser cet espace, accessible au public, dans l’enceinte de l’établissement.

Vous dîtes qu’il faut laisser une part à l’imagination dans l’urbanisation, mais comment concrètement cela peut-il être mis en place ? Quel rôle La Belle Friche peut-elle jouer dans cette redéfinition des principes de programmation urbaine ?

 

Il faut penser des espaces mutables, évolutifs, à l’image des modes de vies qui sont mouvants et ne cessent de changer, de se transformer. Lorsque l’on conçoit un quartier avec des nouveaux logements, il faut intégrer qu’on ne connaît pas encore les ressources humaines qui le composeront : la culture locale, les projets qui naîtront de la rencontre de ce public avec le site, entre eux… Bien qu’on puisse anticiper les besoins génériques, une part d’incertitude est à prendre en compte.

 

C’est en cela que nous souhaitons laisser une place à l’improvisation. Nous proposons des méthodes pour accompagner cette phase évolutive sans figer les décisions : l’occupation temporaire/transitoire des coques vides en rez-de-chaussée, le volume capable, les logements réversibles en commerces, des lieux de vie/maison de quartier en pieds d’immeuble…Il s’agit aussi de coordonner ces besoins avec les concepteurs urbains (architectes et urbanistes) et la maîtrise d’ouvrage.