Blandine Barré
Réparer et lutter contre l’hyperconsumérisme
En 2015, l’Union européenne a consommé 6,4 millions de tonnes de vêtements. En France, chaque année, 2,6 milliards d’articles textiles, de linge et de chaussures inondent le marché, soit 9,5 kg de produits par habitant. Face à cette réalité environnementale, l’équipe Les Réparables a décidé d’agir en proposant de revoir la manière dont nous nous habillons. L’expérience de Blandine Barré dans la mode, le textile et la couture l’amène à réfléchir à une autre manière de vivre la mode, de mener son activité. Elle crée alors Les Réparables, une entreprise proposant des services de réparations de vêtements diverses s’adressant aux particuliers, aux marques et aux entreprises. Les Réparables souhaitent remettre la réparation au goût du jour et contribuer à sa systématisation grâce au numérique.
Bonjour Blandine,
Quelle a été l’impulsion qui vous a donné l’idée de créer Les Réparables ?
Le déclic est vraiment survenu à la suite des tournées mondiales de réparation Worn Wear organisées par Patagonia. La célèbre marque de vêtements outdoor proposait des ateliers de réparation dans ses boutiques ou d’autres lieux pour sensibiliser les clients et les inviter à apporter leurs vêtements pour les faire réparer. En tant que couturière, j’ai participé à ces tournées en France en 2016 et 2018. Voir les gens, réparer leurs vêtements devant eux et échanger avec eux sur l’importance de prolonger la durée de vie de leurs produits m’a complètement fait repenser mon métier dans l’industrie du textile. J’ai donc construit le projet Les Réparables à la suite de cette expérience.
Mon parcours dans les métiers de la mode, allant de la mise au point à la production, m’a permis d’avoir une vision d’ensemble de toute la chaîne de valeur du produit. Cette expérience a été enrichie par mon retour à la réparation, pour repenser toute la chaîne de valeur de production. En préservant le savoir-faire et le patrimoine du textile, l’idée était de proposer un modèle économique différent mais viable, démontrant que l’entrepreneuriat pouvait s’allier à une vision durable. Il ne s’agit pas seulement de projets associatifs ou utopistes, mais de créer un nouveau modèle économique concret et fonctionnel.
Si on veut que les choses changent pour demain, ce ne sont pas seulement des projets associatifs ou utopistes qui y parviendront. Il fallait montrer concrètement qu’économiquement, en utilisant les mêmes armes de l’économie financière mais avec un modèle différenciant, c’est possible. Aujourd’hui nous sommes obligés de construire des entreprises en repensant les modèles.
Derrière tout cela, il y a cette notion de l’urgence environnementale. La fabrication de vêtements contribue de manière significative à la pollution, parce qu’il y a d’abord l’extraction de ressources pour fabriquer des produits qui deviennent ensuite des déchets à traiter et, en plus de cela, ils sont souvent fabriqués dans des conditions abominables. Il y a donc aussi une pollution humaine. En réparant, on réduit cette pollution.
Comment fonctionne la structure, quelles sont les principales solutions que vous offrez aux consommateurs ?
Nous avons deux structures : une entreprise basée en Vendée et une autre à Lyon. Cette dernière est un bureau de conseil et d’accompagnement pour les marques en éco-conception et réparabilité des produits. Commercialement, nous opérons sous une seule entité, Les Réparables, qui s’adresse à trois cibles : les particuliers, les marques et les professionnels. Le but est aussi de répondre à chacune des cibles et d’aborder le problème de la surproduction sous tous ses aspects. Ne traiter qu’une partie du problème ne permet pas de vraiment trouver la solution. De plus, les cibles se répondent entre elles, ce qui est très intéressant.
Pour les particuliers, nous avons mis en place une plateforme permettant de commander des réparations en ligne. L’objectif est de lever les freins liés à la réparation, qu’ils soient liés à la faisabilité, au coût, au temps ou à la facilité d’accès. Les clients commandent leurs réparations comme ils le feraient pour un vêtement sur un site e-commerce, sauf qu’au lieu d’acheter un produit, ils achètent un service. Ensuite, ils peuvent choisir de déposer ou d’envoyer leurs vêtements à réparer dans l’un de nos ateliers.
Pour les marques, nous agissons comme leur atelier de réparation externalisé, en marque blanche ou en collaboration visible pour le consommateur final. Leur objectif est de proposer un service supplémentaire, de ne plus être uniquement des vendeurs, mais de prolonger la durée de vie des produits qu’elles offrent à leurs clients. Nous organisons également des ateliers de réparation éphémères en boutique pour sensibiliser à la durabilité des produits proposés par la marque. Nous réparons devant le client, ce qui est vraiment très intéressant et ludique. Cela permet de créer un contact direct et de faire revenir les clients en point de vente. Aujourd’hui, beaucoup de personnes achètent en ligne, et ce type d’atelier permet à la marque de ramener les clients en magasin et de pouvoir échanger avec eux. En termes d’expérience, c’est très immersif.
Pour les professionnels, nous réparons leurs vêtements et équipements textiles, contribuant ainsi à leur démarche RSE et à la réduction et/ou au report des achats neufs. Enfin, nous proposons des services de conciergerie de réparation aux collaborateurs des entreprises pour leurs vêtements personnels.
Sentez-vous un changement de paradigme ? Particuliers, entreprises et grandes marques ont-elles été au rendez-vous dès le lancement des Réparables ?
Oui, depuis environ six mois/un an, nous observons une vraie différence. Cela devient un réflexe pour certains. Les consommateurs envisagent davantage la réparation. Pour les particuliers l’arrivée du bonus réparation a également permis de booster le passage à l’acte pour ceux qui étaient réticents ou avaient des contraintes financières. Les marques, quant à elles, répondent à cette nouvelle demande en raison des mentalités changeantes et des obligations légales comme la loi AGEC (loi anti-gaspillage pour une économie circulaire) et les filières REP (responsabilité élargie du producteur). La loi AGEC interdit la destruction des invendus, ce qui oblige les marques à repenser leurs pratiques. Il y a donc actuellement beaucoup de mouvement. Et c’est grâce à ces législations que les gens sont incités à agir ! Il faut toujours quelque part un coup de pouce du gouvernement pour vraiment inciter les personnes à aller plus loin, ou alors des sanctions. De manière générale, les choses bougent !
Comment sensibilisez-vous vos différents publics à l’importance de la réparation et de la durabilité dans le domaine de la mode ?
Nous participons à des conférences et tables rondes. Nous intervenons dans les écoles et nous accueillons des stagiaires pour sensibiliser plus concrètement. Nous communiquons également beaucoup sur les réseaux sociaux avec une approche non moralisatrice, en utilisant des données et des contenus pédagogiques.
Personne n’aime se sentir jugé, alors quand on informe de manière positive, nous sommes tous plus réceptifs. Le public intègre mieux les informations et se sent investi d’une mission. Ce qui pouvait sembler une contrainte devient une opportunité, et il devient à son tour prescripteur en partageant cette découverte avec son entourage.
Nous avons également un rapport RSE qui détaille notre activité depuis le début, expliquant nos impacts et notre comptabilité en triple capital. Ce rapport est disponible en open source, en toute transparence, pour ceux qui veulent en savoir plus.
Quels conseils donneriez-vous aux consommateurs qui souhaitent réduire leur impact environnemental ?
De s’interroger en amont l’achat, pour ceux qui le peuvent bien sûr, et de penser non pas en termes de prix d’achat mais en termes de prix d’usage. Par exemple, lorsqu’on achète un produit à 5 € mais qu’on doit en acheter 5 ou 6 dans l’année parce qu’il se déforme, que le col se détend, ou que la couleur passe… Est-ce que cela ne vaut pas mieux d’acheter un produit basique et de qualité ? Ce produit, bien que plus cher, serait acheté après avoir pris le temps de s’assurer qu’il nous va bien, qu’il est adapté à notre morphologie et qu’il est confortable. Et en cas de problème, il y aurait tout intérêt à le faire réparer. On se pose plus facilement la question de la réparation quand celle-ci coûte 10 € alors que le t-shirt coûte 5 €.
Il s’agit d’amener les gens à s’interroger, à regarder les étiquettes. Il existe des applications comme Clair Fashion pour scanner et noter les vêtements. Peut-être se dire : « Est-ce que j’ai vraiment besoin de ce truc-là ? Est-ce que je n’ai pas déjà quelque chose de similaire ? Ne ferais-je pas mieux d’acheter un produit qui va bien avec le reste de ma garde-robe ? ». C’est un peu repenser son mode de consommation.
Quels sont les prochaines étapes pour Les Réparables ?
Nous souhaitons continuer à grandir en formant de nouvelles personnes au sein des ateliers et en développant nos collaborations avec les marques et les professionnels. Nous prévoyons de déménager l’atelier de Lyon aux côtés de notre partenaire Weca Meca, atelier de production lyonnais, dans un espace plus grand, de former de nouveaux talents, de développer notre bureau de conseils et d’études Wetrame, dédié aux solutions pour demain auprès des acteurs du textiles. L’objectif est également de gagner en visibilité auprès de toutes nos cibles et de faire de la réparation un réflexe pour tous, transformant cette tendance en habitude durable.
Merci pour ces réponses !