Laetitia George et Cédric Borel
Normaliser l’usage du réemploi
Lancé en septembre 2020, le Booster du Réemploi réunit déjà plus d’une trentaine de grands maîtres d’ouvrage et prescripteurs du secteur de la construction. Les Boosters veulent changer les usages de l’immobilier et de la construction, ouvrir la voie vers de nouvelles pratiques en massifiant le recours au réemploi de matériaux. Agissant comme un hub, le Booster du Réemploi aide à exprimer la demande des maîtres d’ouvrage et à la connecter aux acteurs de l’offre, en la rendant visible et lisible. La famille des Boosters compte bien s’agrandir et parvenir à transformer le secteur rapidement ! Laetitia George et Cédric Borel, à l’initiative du projet, répondent aux questions des Grandes Idées.
Bonjour Laetitia, Bonjour Cédric,
Quel a été le déclic qui vous a mené à la création du Booster du Réemploi ?
Laëtitia George : Nous avons choisi l’action car nous sommes dans une situation d’urgence. Mon fils a 6 ans, il est asthmatique et dans 80 ans, il sera toujours là. J’ai la responsabilité d’agir maintenant pour qu’il puisse vivre de manière convenable lorsqu’il sera adulte puis vieux. Nous ne sommes pas dans une projection futuriste, nous sommes dans quelque chose que nous pouvons quasiment toucher, entrevoir.
Siège du Conseil européen, par Philippe Samyn, Châssis en chêne de toute l’Europe
Dans l’immobilier, si nous regardons ce que nous pouvons faire à l’échelle du bâtiment, il y a des axes multiples d’intervention : la préservation des sols et de leurs services écosystémiques, la performance énergétique, l’économie d’eau mais nous pouvons aller encore plus loin en ne prélevant que le strict nécessaire en ressources multiples grâce au réemploi. Si nous faisons bien notre travail sur l’ensemble de ces axes d’intervention, l’impact positif est palpable rien qu’à l’échelle d’un chantier. Travailler avec A4MT signifie travailler sur tous ces axes d’intervention mais à grande échelle.
Avec la mise en place du Booster du Réemploi, nous additionnons les forces, les engagements, les impacts. Chaque acteur engagé dans l’action peut ainsi contribuer à changer la donne et ensemble, nous pouvons réellement déplacer des montagnes. Plutôt que de se remettre en question uniquement, passons à l’action ! Et pour pouvoir y arriver il faut qu’il y ait des équipes mixtes, multidisciplinaires et multigénérationnelles. C’est très important, cela change réellement la capacité et la réactivité dans l’action.
Groupama est l’assureur des agriculteurs, ce qui sous-tend que nous connaissons bien l’impact et le risque climatique. Nous sommes d’ailleurs l’un des premiers assureurs du risque climatique. Nous souhaitions aller plus loin dans le réemploi. Sur un chantier situé sur les Champs Elysées à Paris, nous avons ainsi récupéré 16 000 m² de faux-planchers et de faux-plafonds. L’idée consistait à récupérer ces matériaux et à les réutiliser sur une autre opération. Mais nous avons été confrontés à plusieurs étapes difficiles avec l’entreprise de dépôt, l’entreprise générale, l’assureur, le bureau de contrôle, etc. De là est née notre envie de créer le Booster du Réemploi pour grandement simplifier la donne : en rendant visible la demande actuelle déjà conséquente et en mettant tous les acteurs de la chaîne en mouvement pour agir ensemble et aller de l’avant.
Le Booster du Réemploi, c’est un projet d’intrapreneuriat qui démarre à TechStars et qui se concrétise avec les porteurs A4MT (Action For Market Transformation) et l’IFPEB (Institut Français pour la Performance du Bâtiment). A4MT nous a permis de penser et concrétiser l’impact de l’action de chacun et surtout l’impact du cumul de ces actions si nous organisions les choses pour changer de dimension. Nous ne voulions pas d’un nouveau cercle de réflexion, d’un nouveau think tank, il s’agit pour nous de s’engager et de faire. Il est vraiment temps de passer à l’action !
Cédric Borel : Le Booster du Réemploi met en éveil et surtout en action. Il est né d’un constat implacable : chaque année le secteur du bâtiment produit, à lui seul, 42 tonnes de déchets dont seulement 1 % est réutilisé. Pour résoudre l’urgente équation, nous devons repenser la notion de déchet et de réemploi.
Nous développons actuellement un système pour « dérisquer » le réemploi et créer une vraie demande. L’étude effectuée dans le cadre de TechStars par l’équipe de Groupama Immobilier a mis en évidence un nombre conséquent de plateformes existantes telles que Backacia, Mobius, Cycle Up… Après ce constat d’une offre qui existait déjà, il était donc urgent de créer une demande abondante.
L’urgence est là et se fait de plus en plus omniprésente. L’action la plus efficace était ainsi de créer une plateforme de la demande, pour la rendre visible et l’organiser. Sur un chantier, si je sais que j’ai besoin de cloisons, de faux-planchers, de faux-plafonds, j’ai plus de chance de trouver ces matériaux si je le dis 6 mois avant et que ma demande parvient à un ou plusieurs acteurs fournissant des matériaux de réemploi. Cela permet en outre au secteur du bâtiment de limiter sa pression sur les ressources. A titre d’exemple, une porte métallique réemployée représente 10 000 litres d’eau économisés.
Nous disposons d’un grand potentiel de réemploi en tertiaire (hors logements et activités productives). Il existe, par exemple, 240 millions de m² de bureaux en France dont 1,5 % sont rénovés chaque année. En réunissant investisseurs, promoteurs, constructeurs mais également les directeurs immobiliers et forts de l’écosystème IFPEB / le CUBE / le HUB des Prescripteurs Bas Carbone, nous étions sur un bon terrain d’action.
Nous demandons à chaque maître d’ouvrage rejoignant le Booster du Réemploi une cotisation de 20 000 euros par an et l’engagement d’intégrer 5 projets pas an sur la plateforme. L’initiative a été lancée le 2 juin, puis officiellement début septembre au MIPIM, 35 grands maîtres d’ouvrage ont actuellement rejoint le Booster et plusieurs maîtres d’ouvrage publics engagent des discussions pour le faire également.
L’action du Booster du Réemploi repose sur 3 piliers essentiels :
1. Simplifier la vie des demandeurs de réemploi. Lot par lot, produit par produit, nous accompagnons les différents acteurs pour identifier ce qui, dans leurs besoins, est compatible avec du réemploi et ajuster leur demande.
2. Rendre visible, lisible et prévisible la demande de réemploi pour rendre compte de ce qu’il représente d’ores et déjà aujourd’hui en volume, et de ce qu’il pourrait représenter dès demain
Jusqu’ici, il n’existait pas de prévision systématique de la demande. Des cahiers des charges ont déjà été établis et de nombreux autres nous parviennent actuellement. Cela va permettre de déverrouiller de nombreuses opérations. Au sein du Booster du Réemploi, nous allons permettre aux organisations de l’offre de se connecter et de fonctionner avec la plateforme et ses Boosters.
Nous allons également mettre en place une task force logistique car il existe une grande problématique de stockage des matériaux de réemploi. L’Etat ou les instances publiques pourraient offrir des espaces de stockage à moindre coût pour accélérer le mouvement et permettre une situation économique viable.
En bref, avec le Booster du Réemploi, nous avons créé une grande communauté qui fait du test & learn. On veut d’abord faire et on construit la méthode sur-mesure, au fil de l’eau : une méthode qui permet de répondre au mieux à la réalité actuelle et à nos ambitions pour le réemploi. Notre objectif est de développer le réemploi avec un bilan de l’opération dans 3 ans.
Les secteurs de la construction et de l’immobilier pèsent beaucoup en matière d’émission carbone comme sur les ressources naturelles, selon vous quel est leur potentiel de transformation ?
Laetitia George : Pour reprendre une expression qui n’est pas de moi, il faut faire la différence entre le désir, l’espoir et l’espérance. Le désir c’est tout de suite ou sur un horizon de 3 ans, l’espoir c’est dans 10 ans, et l’espérance représente les calendes grecques.
Si nous appliquons cela à notre réponse, nous oublions les calendes grecques ! Nous voulons agir vite et efficacement.
Pour le temps du Désir
On peut faire comme si dame nature n’existait pas mais cela ne rime à rien. Nous sommes un peu au moment où nous ne pouvons pas faire n’importe quoi et où nous sommes obligés de préserver les ressources. Bien sûr, il y a des freins mais nous pouvons voir le verre à moitié plein. Les choses avancent. Avant, on était beau quand on était beau. Maintenant, on est beau quand on est bon. La fragilité de nos écosystèmes n’exclut personne, nous avons besoin d’en prendre tous collectivement conscience.
Pour le temps de l’Espoir
Le Booster est basé sur l’enthousiasme, la conviction et la volonté de toute une équipe et, quoiqu’il arrive, et même s’il y a des freins, des difficultés, des bâtons dans les roues, nous avancerons. Aujourd’hui, tout le monde est conscient ou en train de prendre conscience que nous devons faire une halte générale à la gabegie.
La demande de réemploi est en train de surprendre toutes les professions. Le réemploi est entré dans les matrices, tout le monde pense au réemploi pour son projet à présent. Il reste à présent à le développer encore davantage.
Si nous avions une incitation à exprimer auprès des acteurs qui ne seraient pas encore convaincus. Outre de répondre à la problématique de la limite des ressources de notre planète, agir permet de répondre à l’éco-anxiété. Ne laissez pas le train passer !
Le Booster du Réemploi n’est pas un think tank mais un bon sens tank inscrit clairement dans l’action. Il réunit 50 % d’énergie humaine, 30 % de technicité et 20 % de communication pour amener à la cohésion.
Quels sont les freins à la transition écologique pour ces secteurs ?
Cédric Borel : Au Booster du Réemploi, nous prenons plutôt le parti de partir des forces qui vont dans le bon sens pour contribuer à amplifier le mouvement et faire pencher la balance du bon côté.
Laetitia George : Nous essayons d’allier audace, courage, humilité pour faire avancer la transition par l’action et la somme des actions. Nous ne pouvons pas mettre la charrue avant les bœufs, pour y arriver, il faut croire dans la force des femmes et des hommes comme dans la diversité humaine. La résilience vient aussi de la souffrance qu’il faudra savoir transformer en énergie créative.
Le Pavillon Circulaire, 2015, par Encore Heureux © Cyrus Cornut
Quelle ville, quels modes de construction imaginez-vous pour demain ?
Laetitia George : La ville de demain, je veux la construire avec ceux qui ont 20 ans en écoles de commerce, d’architecture, d’ingénieur, en CAP… qui ont du talent et de l’espoir. C’est avec eux que j’ai envie de construire, en lien avec les anciens pour le savoir et la puissance de l’expérience.
Cédric Borel : Pour demain, ce sont des modes de construction où l’on passe avant tout au crible de la neutralité carbone et de l’essentialisation des ressources. Il y a une nouvelle histoire industrielle à écrire.
Merci Laetitia, Merci Cédric pour vos réponses !